Changement de l’ordre constitutionnel en Guinée Est-ce le crépuscule des démocraties en Afrique francophone ?
Le dimanche 05 Septembre 2021 restera à jamais gravé dans la mémoire collective des guinéens et plus généralement de tous les africains. C’est ce jour donc et aux premières heures d’un matin calme où rien n’indiquait quoi que ce soit que des militaires de la Force Spéciale, un corps d’élites chargé de la protection des institutions de la République, ont décidé de mettre fin aux fonctions du Président guinéen, le Professeur Alpha Condé. Les militaires de la Force Spéciale, avec à leur tête le Lieutenant-Colonel Mammadi DOUMBOUYA ont écourté le troisième mandat consécutif du Professeur Alpha Condé, membre de l’International Socialiste et opposant historique à tous les régimes qui se sont succédés au pays de Samory Touré.
En 2010 lorsque le Professeur a été déclaré vainqueur au second tour de la présidentielle, ce fut une immense joie pour les démocrates du continent, une lueur d’espoir et beaucoup d’attentes pour l’enracinement de la démocratie dans ce pays longtemps dirigé des mains de fer par ses prédécesseurs.
Très vite le régime Condé expose au grand jour sa brutalité, n’acceptant aucune contradiction et prêt à museler ses opposants et les responsables de la société civile qui émettent un autre son de cloche. Un an avant la fin de son second et dernier mandat constitutionnel il lance l’idée d’une révision de la constitution. Ses opposants font entendre leur voix et disent non à toute modification de la loi fondamentale. Se targuant d’une légitimité populaire, le Professeur fait voter un texte au référendum et promulgue un autre comme nouvelle loi fondamentale de la Guinée. Fort de cette alchimie, le vieux routier de la politique guinéenne, plusieurs fois emprisonné, décide de faire entorse aux principes pour lesquels il s’est battu des années durant. Il se lance à la course pour un troisième mandat et se fait aisément réélire au prix du sang versé par le peuple guinéen.
Le 05 septembre dernier les éléments de la Force Spéciale qu’il a créée pour se protéger contre les aspirations légitimes de son peuple ont mis à sa gabegie, au clanisme, à la corruption et autres maux qui assaillent les guinéens au quotidien. Les premiers mots du Lieutenant-Colonel DOUMBOUYA traduisent l’aspiration de tout un peuple « aucun guinéen ne doit plus mourir pour la politique ».
Aujourd’hui les questions que l’on est en droit de se poser sont comment un politique de sa trempe est arrivé à ce point à se dédire, à être aveuglé par le pouvoir au point de développer un autisme et une cécité politique d’un autre âge ? Pourquoi ces intellectuels une fois au pouvoir font pire que les régimes qu’ils ont toujours combattu ?
Hier c’était le Mali avec le renversement du pouvoir d’un certain IBK par une junte militaire puis au Tchad où un Conseil militaire a pris le pouvoir à la mort du Maréchal Idris DEBY ITNO en dépit des dispositions constitutionnelles. La Guinée rejoint désormais la liste avec une voix inaudible de la communauté internationale et particulièrement des organisations sous régionales. L’Afrique francophone elle-t-elle en train de basculer vers les pouvoirs militaires après la parenthèse démocratique des années 90 ? La France est-elle innocente dans ce retour à l’avant Baule ? Ce sont des questions que nous posons afin d’alimenter la réflexion. Les théoriciens de la démocratie doivent se remettre en cause pour le cas Afrique au risque peut-être épouser la théorie de feu Jacques CHIRAC qui déclarait en son temps que l’Afrique n’était pas prête à démocratie du moins celle occidentale.
Si les vieux routiers de la scène politique africaine comme Abdoulaye WADE, Ibrahim Boubacar KEITA, Alpha Condé et dans une moindre mesure Laurent GBAGBO tombent si bas il urge de repenser un autre modèle politique pour le berceau de l’humanité.
Edgar WALLA